La famille Joly de Lotbinière

L'histoire de la famille remonte au début du XIXe siècle
 


Pierre-Gustave Joly

Originaire de Suisse, la famille Joly s'est établie en France, à Épernay, au début du XIXe siècle. Engagée dans le commerce d'exportation, elle semble entretenir différentes relations d'affaires dans plusieurs pays et entreprend donc de nombreux voyages. C'est en 1827 que Pierre-Gustave Joly visite le Canada. De belle allure et de vaste érudition, il est tout naturellement une vedette dans les grands salons de Montréal. C'est à l'une de ces réunions mondaines qu'il fait la rencontre de Julie-Christine Chartier de Lotbinière, à Montréal. Fille de Michel-Eustache-Gaspard-Alain Chartier de Lotbinière, Julie-Christine conquiert le coeur de Pierre-Gustave et l'épouse en 1828. Après un voyage de noces prolongé en Europe, en 1830, Pierre-Gustave Joly et son épouse décident de revenir au pays afin d'exploiter la seigneurie de Lotbinière, dont elle vient d'hériter de son père.

 


Julie-Christine Chartier de Lotbinière

En 1822, les seigneuries de Lotbinière, de Rigaud et de Vaudreuil, propriétés de la famille seigneuriale, sont laissées en héritage aux trois jeunes filles du seigneur de Lotbinière. Belles, cultivées et intelligentes, ces riches héritières représentent dès lors un beau parti pour les jeunes hommes de bonne famille. En 1827, un homme d'affaires français né en Suisse, Pierre-Gustave Joly, se fait remarquer dans l'une des grandes soirées mondaines de Montréal. C'est à l'occasion de l'une de ces soirées qu'il fait la connaissance de Julie-Christine Chartier de Lotbinière. Après seulement quelques mois de rencontres assidues, il l'épouse en 1828.

Au début de l'année suivante, Julie-Christine, la plus jeune des trois sœurs, hérite par règlement de succession de la seigneurie de Lotbinière. Suivant les conseils avisés de sa mère, elle reste seule propriétaire de la seigneurie par son contrat de mariage en séparation de biens, mais confie à son époux la gestion de toutes les opérations seigneuriales et commerciales de la nouvelle famille. Peu de temps après, les jeunes époux partent pour l'Europe. Leur premier enfant, Henri-Gustave, naît en France en décembre 1829. Ils seront de retour au pays en 1830.

 


Un nouveau propriétaire pour les terres du Platon

Dès son retour au pays en 1830, Pierre-Gustave s'acquitte avec sérieux de son nouveau rôle de seigneur. Lors de ses premières visites à la seigneurie de Lotbinière, Pierre-Gustave remarque la Pointe Platon et la décrit comme un site « d'une rare beauté ». Dès lors, il se porte acquéreur de ces terres qui sont tout près de celles de la seigneurie. Il négocie avec le censitaire Pierre Legendre et ce n'est qu'en 1846 qu'il prend possession des lieux.

 


Pierre-Gustave, le seigneur-entrepreneur

La même année, Pierre-Gustave fait construire un premier quai et une maison-hôtel pour faciliter les échanges entre les familles qui habitent la région et celles de la ville de Québec. Dès 1831, il entreprend l'exploitation de la forêt en faisant construire, puis en exploitant, un moulin à scie à l'embouchure de la rivière du Chêne. Au pays, il diversifie ses activités d'exploitation de la forêt sur la seigneurie et investit dans le secteur des transports. À l'extérieur du pays, il fait des placements à la bourse et possède des intérêts dans divers secteurs.

En 1851, Pierre-Gustave fait construire à la Pointe Platon la résidence d'été Maple House laquelle correspond aux exigences architecturales et esthétiques du mouvement pittoresque.

 


Pierre-Gustave et le daguerréotype

En visite à Paris en 1839, avant d'entreprendre un voyage qui doit le mener en Grèce, en Égypte et en Terre sainte, Pierre-Gustave apprend que l'inventeur Daguerre avait réussi à créer un appareil qui fixe les images. Il est fasciné par ce nouveau procédé photographique et acquiert un équipement complet pour réaliser des daguerréotypes. À l'automne de la même année, l'éditeur Lerebours lui commande un reportage sur l'expédition qu'il s'apprête à faire. Ainsi, Pierre-Gustave fait des images de l'Acropole en Grèce, du sphinx de Gizeh, de la pyramide de Khéops et de plusieurs autres endroits historiques. Dans les carnets de notes de Pierre-Gustave, on apprend qu'il a fait en tout 92 daguerréotypes au cours de ses expéditions. Les originaux sont introuvables, mais fort heureusement, quelques-unes de ses images ont été reproduites sous forme de gravures et ont été publiées.

 


Sir Henri-Gustave Joly, un homme d'exception

Henri-Gustave est le fils aîné de Pierre-Gustave et de Julie-Christine. Il naît en France le 5 décembre 1829. Il revient au pays avec ses parents, mais dès l'âge de sept ans, il est confié à sa grand-mère et à sa grand-tante à Paris pour ses études à l'Institut Keller et à la Sorbonne, jusqu'en 1849. À son retour en 1850, il étudie le droit, puis est admis au barreau du Bas-Canada en 1855. Très vite, il s'intéresse à la seigneurie et s'initie à la sylviculture en expérimentant quelques plantations d'arbres, En 1856, il épouse la fille d'un riche commerçant de Québec, protestante tout comme lui, Margaretta Josepha Gowen. Quelques années plus tard, en 1860, Henri-Gustave hérite de sa mère de la seigneurie de Lotbinière et de son père, du domaine familial de la Pointe Platon.

Henri-Gustave deviendra une figure politique connue au XIXe siècle. Il occupera pendant quelques années les postes de député du comté de Lotbinière à la fois au fédéral (1861-1874) et au provincial (1867-1885), et celui de premier ministre du Québec (1878-1879). Par la suite, il deviendra ministre du Revenu intérieur dans le cabinet Laurier à Ottawa (1897-1900) et finalement, il sera nommé lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique (1900-1906). D'un naturel franc, cet homme de principe est souvent « accusé de naïveté politique et présenté comme un homme trop honnête pour faire de la politique ».

«Figure importante de l'histoire environnementale au Québec, Sir Henri-Gustave Joly de Lotbinière s'est partagé, toute sa vie durant, entre une carrière politique remarquable et sa véritable passion: la foresterie.»1 Visionnaire, écologiste et environnementaliste avant l'heure, il remettra en question le mythe de la forêt inépuisable. Pendant toute sa carrière, Henri-Gustave est un ardent défenseur de la conservation des forêts, de l'agriculture et de la construction des chemins de fer. En 1888, après le décès de sa mère, dernière représentante des Chartier de Lotbinière, il obtient l'autorisation d'ajouter « de Lotbinière » à son nom de famille. Quelques années plus tard, en 1895, en reconnaissance des services qu'il a rendus au pays, la reine Victoria l'élève à la dignité de « sir ». Il meurt à Québec le 16 novembre 1908, à la veille de ses soixante-dix-neuf ans.

 


Edmond-Gustave Joly de Lotbinière

Fils de sir Henri-Gustave et petit-fils de Pierre-Gustave, Edmond-Gustave Joly de Lotbinière suit les traces de son père et étudie le droit. En 1885, il épouse à Québec Lucy Geils Campbell avec qui il aura un enfant, Alain. Habitué très jeune à l'absence de son père Henri-Gustave, et ayant été amené à collaborer à l'administration de la seigneurie, Edmond-Gustave lui succède en 1908. Courtois et aimable, c'est un administrateur très apprécié, jusqu'à sa mort en 1911. Suite à cette mort prématurée et inattendue, le Domaine est transmis à son fils unique, Alain, qui était alors étudiant à Toronto afin de devenir ingénieur forestier.

 


Monsieur Alain Joly de Lotbinière et Madame Agnes Slayden

C'est donc à vingt-trois ans qu'Alain Joly de Lotbinière hérite du titre et de la charge de seigneur. Il se marie en 1912 à Agnes Slayden, une jeune femme originaire de la Caroline du Nord, qui entreprend de transformer le « chalet de chasse » de la famille en un lieu de villégiature. Après deux phases de travaux, l'une en 1913 et l'autre en 1933, le rez-de-chaussée de la Maison de Pointe Platon est complètement refait. Les murs sont recouverts de boiseries de couleurs foncées, le foyer de la bibliothèque est refait en pierre des champs et l'on ajoute même à l'ameublement et à la décoration des antiquités venues d'Europe. Du côté du personnel, le nombre de serviteurs à la Maison, qu'ils nomment le Manoir, passe de deux (un majordome et une servante) du temps de sir Henri-Gustave à près de huit sous le règne de madame Agnes (une gouvernante, une cuisinière, une « nanny » pour les enfants et quelques servantes). Pour les jardins, un jardinier professionnel, monsieur Toussaint Le Pennec, est engagé à la fin des années 1920. C'est en 1931 que l'allée centrale de vivaces et d'annuelles est aménagée au cœur des jardins. Monsieur Alain meurt en 1954 et son fils Edmond lui succède.

 


Monsieur Edmond Joly de Lotbinière, dernier seigneur de Lotbinière

Monsieur Edmond Joly de Lotbinière reprend la seigneurie à 31 ans. Après avoir servi dans la marine durant la Seconde Guerre mondiale, c'est une carrière de diplomate qui l'attend. Il occupe les postes de chef de cabinet suppléant et de sous-chef de cabinet auprès des très honorables Vincent Massey et Georges Vanier, gouverneurs généraux, ainsi que le poste de premier secrétaire au haut-commissariat du Canada à Londres et celui de gentilhomme huissier supplémentaire auprès de la reine, de 1961 à 1966. De retour au pays, il est nommé directeur administratif du gouverneur général et assure les liaisons quotidiennes avec le palais de Buckingham. En 1967, par voie d'expropriation, le gouvernement du Québec acquiert les titres de propriété de la seigneurie et du domaine familial. Ce passage des terres seigneuriales à la propriété publique met fin à un régime en vigueur depuis près de 300 ans.

 


À la suite des seigneurs de Lotbinière

Le Manoir, appelé Maison de Pointe Platon, est abandonné jusqu'au début des années 1980 alors qu'une jeune fille de la région commence à faire des visites guidées du site. Par la suite, le gouvernement québécois rénovera la Maison. De 1984 à 1997, trois organismes à but non lucratif se chargeront à tour de rôle de l'animation de la Maison de Pointe Platon, il s'agit de la Société du Domaine Joly-De Lotbinière (1984-89), de la Société linnéenne du Québec (1990-91) et du Conseil des monuments et sites du Québec, aujourd'hui Action Patrimoine (1992-97). Finalement, la Fondation du Domaine Joly-De Lotbinière, un organisme de bienfaisance sans but lucratif issu de la volonté du milieu de sauvegarder ce joyau du patrimoine, acquiert le site en 1998 avec l'objectif de le préserver et de le mettre en valeur pour le bénéfice des générations présentes et futures.